20 avril 1980. La Kabylie est en effervescence. C'est le déclenchement d'une révolte longtemps couvée dans une région frondeuse qui a payé le lourd tribut pour la libération de l'Algérie.
Par Hichem Aboud
La révolte a surpris le régime algérien qui commençait à connaître ses premières fissures avec l'arrivée à sa tête de Chadli Benejdid, un homme nullement préparé à l'exercice d'un pouvoir politique dont la dimension le dépassait largement. Mais, ainsi, avaient décidé les nouveaux décideurs qui s'étaient réunis en conclave à l'Ecole Nationale des Ingénieurs et Techniciens d'Algérie (ENITA) que dirigeait un certain commandant Larbi Belkheir qui s’avérera quelques années plus tard comme l'homme fort du régime.
L'arrivée de Chadli à la tête du pouvoir avait redonné vie au Front de Libération Nationale mis en veilleuse durant tout le règne de Houari Boumediene. Ce qui n'était qu'un appareil du parti sans pouvoir aucun allait devenir le parti unique qui tient les rênes du pouvoir à travers le président de la république qui était en même temps le Secrétaire Général du parti. Ainsi furent donnés de larges pouvoirs aux commissaires nationaux du partis répartis sur les différentes wilayas (départements) du pays.
Un panarabiste hostile à tout ce qui est berbère à Tizi-Ouzou
L'un de ces commissaires nationaux, Mohamed Bourezam qui était sous Houari Boumediene, Secrétaire Général de l'Union Nationale de la Jeunesse Algérienne (UNJA) créée en 1975, venait d'être fraîchement installé à la tête de la Mouhafada du parti de la wilaya de Tizi-Ouzou. Originaire de Skikda, ce nouvel apparatchik était connu pour ses penchants panarabistes. Il était connu pour être du courant dit, à l'époque, réactionnaire évoluant sous l'idéologie islamo- bâthiste opposé à la politique de Houari Boumediene jugée contraire à l'Islam et proche de Moscou la communiste. A l'opposé, il y avait le courant dit progressiste que parainnait le Parti de l'Avant-Garde Socialiste (PAGS), l'ancien Parti Communiste Algérien (PCA) qui apportait un "soutien critique" à la politique de Boumediene. Ce dernier pour faire passer les révolutions agraire, industrielle et culturelle avec la médecine gratuite et la démocratisation de l'enseignement , s'appuyait sur ce courant.
L'élection de Mohamed Bourezam en 1975 à la tête de l'UNJA, à l'issue de la tenue de la Conférence Nationale de la Jeunesse, était une concession faite par Boumediene à Mohamed Cherif Messadia qui n'a jamais caché son hostilité au socialisme fut-il spécifique à l'Algérie.
A la mort de Boumediene, le courant bâthiste prend sa revanche avec le retour du FLN sur scène à au lendemain de la tenue du 4ème congrès (le 3ème congrès s'était tenu en 1964) réuni à la hâte pour désigner le successeur de Houari Boumediene.
Quand l'interdiction met le feu aux poudres
C'est dans ces circonstances que Mohamed Bourezam qui ne connaît pas un traitre mot de la langue berbère s'est trouvé commissaire national du parti FLN à Tizi-Ouzou. Non seulement il ne connaît rien de la langue et de la culture berbères mais il leur était franchement hostile. Arabiser le bastion du berbérisme, voilà un pari qu'il aimerait bien relever sans mesurer la difficulté de la tâche. Sa seule arme st celle de tous les régimes despotiques: l'interdiction. Et c'est dans cette logique qu'il qu'il interdit une conférence que devait donner donner l'écrivain Mouloud Mammeri à l'université de Tizi-Ouzou sur les poèmes kabyles anciens.
Cette interdiction arbitraire et sans nullement justifiée a suffi pour mettre le feu aux poudres. Le coup d'envoi de manifestations est donné à Tizi-Ouzou avant de s'étendre à toute la Kabylie et à Alger où les étudiants kabyles étaient en grand nombre pour donner écho à l'appel de Tizi-Ouzou.
Maldroit et imbu de sa puissance répressive, le pouvoir en place lâche sa police contre les manifestants en plus de nombreuses arrestations. Ce sont ces arrestations qui vont alimenter le feu de la révolte. Ne s'attendant pas à pareille résistance et à une si farouche revendication de la langue et culture berbères, Chadli Benjedid et son régime n'avait rien d'autre comme alternative que d'abdiquer en libérant les détenus et en reconnaissant le fait berbère.
C'est victoire totale pour tous les militants berbéristes qui vont faire du 20 avril, date du déclenchement de la grève et des manifestations, journée historique et l'événement est qualifié de "printemps berbère". Un printemps fêté tous les 30 avril tandis que celui qui a été la cause de son apparition a disparu dans les poubelles de l'histoire pour avoir voulu travestir cette même histoire en occultant le fait berbère sur sa propre terre.